Aperçu du projet Jugements
Les origines du projet Jugements
La circulation transfrontière des jugements soulève un certain nombre de problèmes juridiques, principalement en raison des disparités entre les règles nationales portant sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers. Afin de surmonter ces difficultés, de nombreux instruments bilatéraux, régionaux et internationaux ont déjà codifié des règles uniformes visant à assurer l’exécution des jugements dans d’autres États. Toutefois, l’applicabilité de ces instruments est souvent restreinte en raison de leur champ d’application matériel ou territorial.
Contribuer à l’élaboration de mécanismes fiables et efficaces visant à réglementer le contentieux transfrontière est l’une des fonctions principales de la Conférence de La Haye de droit international privé. En effet, comme l’a dit le prix Nobel Tobias Asser, instigateur de la Conférence, en 1862 :
« très heureuse est la nation qui se fixe pour objectif de trouver les moyens d’améliorer [...] tout ce qui dans sa législation actuelle entrave le commerce, [...] et qui le fait en vue [...] de l’acceptation des principes de reconnaissance mutuelle des jugements [...] »
Le « projet Jugements » renvoie aux travaux entrepris par la Conférence de La Haye de droit international privé depuis 1992 portant sur les différends transfrontières en matière civile et commerciale, en particulier eu égard à la compétence internationale des tribunaux et à la reconnaissance et l’exécution de leurs décisions à l’étranger. À l’origine, le projet Jugements visait à élaborer une Convention ambitieuse contenant des règles portant sur la compétence internationale et sur la reconnaissance et l’exécution. Toutefois, l’ambition initiale a été revue à la baisse pour se concentrer sur les affaires internationales impliquant des accords d’élection de for, ce qui a abouti à l’adoption de la Convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for (ci-après, la « Convention Élection de for de 2005 »).
En 2012, le Conseil sur les affaires générales et la politique de la Conférence (ci-après, le « Conseil ») a décidé de relancer les travaux dans le cadre du projet Jugementst.
Le Conseil a invité le Groupe d’experts consacré aux jugements à se réunir afin d’examiner et de faire des recommandations sur les questions de compétence5. Le Conseil a également « reconn[u] que, dans le cadre des travaux en vue de l’élaboration d'un futur instrument, il sera important de commencer à travailler sur un noyau convenu de dispositions essentielles ». Conformément à ceci, le Conseil a décidé d’établir un Groupe de travail dont la tâche initiale consistait à « préparer des propositions à soumettre pour examen à une Commission spéciale concernant des dispositions à inclure dans un futur instrument relatives à la reconnaissance et l'exécution des jugements, comprenant des filtres juridictionnels ». Le Groupe de travail s’est réuni cinq fois entre 2012 et 2015 et a achevé ses travaux sur un projet de texte en octobre 2015.
En 2016, le Conseil a salué l’achèvement du projet de texte par le Groupe de travail. Ayant décidé de convoquer une Commission spéciale afin de préparer un projet de Convention, il a donné instruction au Secrétaire général de convoquer la première réunion en juin 2016. La Commission spéciale s’est réunie du premier au 9 juin 2016. Les conclusions de cette réunion se retrouvent dans l’avant-projet de Convention de 2016. Le Conseil a également souscrit à la recommandation du Groupe de travail préconisant de confier à un Groupe d’experts le soin d’examiner les questions relatives à la compétence directe (entre autres, chefs exorbitants de compétence et litispendance / refus d’exercer la compétence) en vue de préparer un instrument distinct. Le Groupe d’experts sera convoqué rapidement après la rédaction d’un projet de Convention par la Commission spéciale.
En 2017, la Commission spéciale s’est réunie une deuxième fois à La Haye, du 16 au 24 février. À cette occasion, elle a rédigé le projet de Convention de février 2017. En mars 2017, le Conseil a salué les progrès remarquables réalisés dans le cadre de ce projet, tout en réaffirmant son importance particulière et son niveau de priorité pour l’Organisation. Le Conseil a également pris bonne note de la tenue de deux réunions fructueuses de la Commission spéciale sur le projet Jugements en vue de la préparation d’un projet de Convention. Il a enjoint au Secrétaire général de convoquer une Troisième réunion de la Commission spéciale prévue, en principe, du 13 au 17 novembre 2017. Le Conseil a pris note de la recommandation de la Commission spéciale en vue de la convocation d’une Session diplomatique vers la fin de l’année 2018 ou le début de l’année 2019. Enfin, le Conseil a rappelé sa décision de 2016 de convoquer, rapidement après la rédaction d’un projet de Convention par la Commission spéciale, le Groupe d’experts relatif au projet Jugements chargé d’examiner les questions de compétence directe (entre autres, chefs exorbitants de compétence et litispendance / refus d’exercer la compétence).
Travaux en cours
La future Convention, dont l’élaboration est en cours, s’appliquera à la reconnaissance et l’exécution, dans un État contractant, de jugements rendus par le tribunal d’un autre État contractant en matière civile ou commerciale (art. 1 du projet de Convention de février 2017). Sont exclues du champ d’application du projet de Convention les matières fiscales, douanières et administratives, ainsi que d’autres matières plus spécifiques (état et capacité des personnes, testaments et successions, etc.) (art. 2). Le terme « jugement » doit s’entendre de toute décision sur le fond rendue par un tribunal, quelle que soit sa dénomination, telle qu’un arrêt ou une ordonnance, de même que, sous certaines conditions, la fixation des frais du procès par le tribunal (art. 3).
En outre, le projet de Convention de février 2017 propose certaines règles fondamentales portant sur le fonctionnement de la future Convention, y compris :
- Un jugement rendu par un tribunal d’un État contractant auquel la présente Convention s’applique est reconnu et exécuté dans un autre État contractant sans qu’il soit procédé à aucune révision au fond (art. 4).
- Les articles 5 à 7 établissent de nouvelles règles en matière de reconnaissance et d’exécution des jugements en application de la Convention, notamment eu égard aux fondements de reconnaissance et d’exécution et aux motifs de refus.
- Certaines règles spécifiques (transactions judiciaires, dommages et intérêts punitifs, etc.) correspondent aux articles actuellement en vigueur en vertu de la Convention Élection de for de 2005.
- Sous réserve de l’article 6 (qui énumère les fondements exclusifs de la reconnaissance et de l’exécution), le projet de la Convention de février 2017 ne fait pas obstacle à la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement en application du droit national (art. 17).
Enfin, le projet de Convention de février 2017 énonce, aux article 18 à 26 et 27 à 34 respectivement, un ensemble de clauses générales et finales.
Avantages d’élaborer une Convention sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers
De nos jours, le nombre des opérations internationales ne cesse d’augmenter et le commerce transfrontière ainsi que les investissements étrangers sont de plus en plus importants. Un cadre juridique uniforme applicable à la reconnaissance et à l’exécution dans un État, de jugements rendus dans un autre État, contribuerait à réduire les entraves juridiques que les individus et les entreprises rencontrent dans le cadre de leurs opérations transfrontières. Par conséquent, la future Convention sur la reconnaissance et l’exécution des jugements en matière civile et commerciale apportera de nombreux avantages.
En fixant des règles uniformes portant sur la reconnaissance et l’exécution des jugements, la future Convention apportera aux parties un cadre simple, prévisible et efficace, qui assurera une plus grande sécurité juridique dans le cadre des échanges transfrontières et instaurera un climat plus favorable aux échanges et à l’investissement sur le plan international. En outre, un régime international de reconnaissance et d’exécution des jugements pourrait simplifier la procédure d’exécution et réduire ainsi les coûts qui y sont liés.