Commerce électronique et Internet (communiqué de presse incluant une synthèse des recommandations de la table ronde)
TABLE RONDE DE GENÈVE SUR LE COMMERCE ÉLECTRONIQUE ET LE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
La Conférence de La Haye de droit international privé, Organisation intergouverne-mentale qui a pour objet l'unification du droit international privé (essentiellement les conflits de lois, la procédure et la coopération judiciaire) a tenu récemment, conjointement avec l'Université de Genève (Suisse), une Table ronde sur les questions de compétence juridictionnelle et de loi applicable posées par le commerce électronique et les opérations effectuées par l'intermédiaire d'Internet.
Cette réunion s'est tenue les 2, 3 et 4 septembre 1999. Y ont participé une centaine d'experts représentant les différents secteurs intéressés par le commerce électronique : l'industrie, les opérateurs, les consommateurs, les gouvernements ainsi que des organisations internationales à la fois à vocation mondiale et régionale. Vingt-six pays et quatorze organisations gouvernementales et non gouvernementales étaient représentés.
Sept commissions se sont réunies simultanément pour traiter des sujets suivants : contrats, délits, clauses de droit applicable et d'élection de for, signification et notification, droit applicable à la protection des données, obtention des preuves et légalisation, règles de procédure pour le règlement des différends en ligne.
Au cours de la première session plénière, le Professeur Henry H. Perritt Jr., Doyen de la Faculté de droit Chicago-Kent, a souligné l'importance d'Internet pour le développement économique. Pour lui, Internet diffère des technologies précédentes en raison, essentiellement, de deux caractéristiques : tout d'abord, c'est un médium mondial par essence ; ensuite, il réduit de manière considérable les barrières économiques pour les nouveaux entrant sur le marché. En conséquence, le nombre d'opérateurs du commerce électronique, de petites entreprises et d'opérations de plus faibles valeurs apparaissent de manière exponentielle sur le marché. Ces caractéristiques font que les stratégies législatives traditionnelles pour protéger les consommateurs et d'autres valeurs sociétaires importantes, qui normalement nécessitent la coopération et l'intermédiation de larges entreprises, seront moins efficaces car il y aura beaucoup plus de petites entreprises faisant du commerce partout dans le monde. Le Professeur Perritt a conclu sa présentation en affirmant que le développement d'un nouveau cadre législatif public pour les opérations privées et l'harmonisation sont essentiels pour faire face aux problèmes posés par le commerce électronique.
Le Professeur Catherine Kessedjian, Secrétaire général adjoint de la Conférence de la Haye de droit international privé, a ensuite introduit le travail de la Table ronde en concentrant ses remarques sur un certain nombre de questions précises. Elle expose d'abord que l'Internet est le premier moyen qui permet de conclure et d'exécuter entièrement en ligne (c'est-à-dire sans aucune présence physique) un très grand nombre de contrats de vente de biens immatériels et de fourniture de services (notamment de services financiers et intellectuels). Bien qu'à l'origine, l'Internet ait été créé de manière à ce que chaque ordinateur connecté soit identifiable, la tendance actuelle de prôner l'anonymat sur la toile pourrait créer un environnement défavorable pour le développement du commerce électronique et doit être appréciée en vue de tous les intérêts en présence dans ce contexte. L'Internet est également un moyen qui contribue à accroître l'échelle des dommages subis lorsqu'un délit est commis sur la toile. Le dommage est subi instantanément sur un grand nombre de marchés aux quatre coins du globe et a des effets considérables. La prévention de ces dommages est presque impossible dans la mesure où les fournisseurs d'accès ne veulent pas et probablement ne peuvent pas jouer le rôle de gendarmes de la toile. En conséquence, le développement de méthodes appropriées de règlements des différends devient crucial pour permettre de véritables recours et sanctions efficaces. Il est également impératif qu'un cadre clair soit proposé aux opérateurs afin de leur permettre de connaître par avance quel est le droit applicable à leurs opérations. Sans un tel cadre, le développement du commerce électronique pourrait en souffrir. Bien que ces problèmes soient de nature mondiale et doivent être réglés par une coopération internationale des organisations compétentes, plusieurs Etats ont déjà entrepris des initiatives législatives unilatérales. Au vu de ces développements, le Bureau Permanent de la Conférence de La Haye, en vertu du mandat qu'il a reçu d'étudier les questions de commerce électronique et de droit international privé, a pris l'initiative d'évaluer la pertinence des normes existantes, notamment pour les conflits de lois et de juridictions, et de réunir la Table ronde de manière à ce que des recommandations puissent être adoptées afin de proposer toutes adaptations nécessaires. Le Professeur Kessedjian a également expliqué comment les recommandations pourraient être utiles pour le travail actuel et futur de la Conférence de La Haye, tout particulièrement pour les négociations en cours sur une Convention à vocation mondiale sur la compétence juridictionnelle et les effets des jugements en matière civile et commerciale.
Dans la période qui a précédé la Table ronde, des rapporteurs ont été désignés pour chaque commission et en ont préparé le travail substantiel. Un questionnaire accompagné de la documentation pertinente a été mis à la disposition des participants afin de leur fournir un cadre de discussion adéquate. Ces questionnaires et documents sont disponibles pour consultation sur le site de la Table ronde de Genève http://cuiwww.unige.ch/~billard/ipilec (nom d'utilisateur ipilec; mot de passe unige).
Chaque commission a adopté des recommandations présentées au cours de la seconde session plénière et discutées par tous les experts présents. Un rapport complet des travaux de la Table ronde sera disponible sur le site de la Conférence de La Haye http://www.hcch.net d'ici la fin du mois de novembre 1999.
D'ores et déjà, les recommandations de la Table ronde peuvent être synthétisées de la manière suivante :
Autant que faire se peut, au lieu de créer de nouvelles normes spécifiquement pour le commerce électronique et les opérations sur la toile, les principes, règles et procédures existants peuvent et doivent être appliqués, en particulier par la voie d'une interprétation selon les principes de l'équivalent fonctionnel. Ceci est vrai non seulement pour la validité des clauses d'élection de for et de droit applicable dans les contrats conclus électroniquement par l'application des principes proposés par la loi modèle de la cnudci en matière de commerce électronique, mais aussi, d'une manière générale, pour les Conventions de La Haye du 5 octobre 1961 supprimant l'exigence de la légalisation des actes publics étrangers, du 15 novembre 1965 relative à la signification et à la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale et du 18 mars 1970 sur l'obtention des preuves à l'étranger en matière civile ou commerciale.
Lorsque de nouvelles normes sont nécessaires, elles doivent être neutres du point de vue technologique.
Pour les contrats en ligne, en matière de compétence juridictionnelle et de droit applicable, si l'exécution de l'obligation en cause prend place hors ligne, les règles actuelles de droit international privé se référant au lieu d'exécution demeurent pertinentes. En revanche, si l'exécution a lieu en ligne, le lieu d'exécution n'est plus approprié comme facteur de rattachement. Dans ce cas, les facteurs de rattachement pertinents sont la situation de chacune des parties en cause.
Pour ce qui est des opérations électroniques de professionnel à professionnel, l'autonomie de la volonté doit être le principe conducteur, tant en ce qui concerne la loi applicable que la compétence juridictionnelle. Pour ce qui est de la compétence juridictionnelle, les dispositions de l'article 4 du projet préliminaire de Convention sur la compétence et les jugements sont parfaitement appropriées pour fournir aux opérateurs un cadre juridique flexible et adapté pour s'assurer de la validité de leurs clauses d'élection de for.
Pour les opérations de professionnel à consommateur, une analyse supplémentaire est nécessaire en vue de tous les intérêts en présence. Tout particulièrement, durant la seconde session plénière, le Professeur Catherine Kessedjian a proposé d'éviter la dichotomie traditionnelle entre «pays d'origine» (c'est-à-dire le pays du vendeur ou du fournisseur de service) et le «pays de réception» (c'est-à-dire celui du consommateur). Elle a proposé de travailler sur un système de certification des sites en s'inspirant du travail effectué au sein de la cci et d'autres organisations privées. Ce système de certification inclurait des règles minimales de protection des consommateurs, en ce compris les garanties et un système de règlement des différends équitable et facile d'accès qui pourrait éventuellement être proposé au consommateur sans aucun coût pour lui. Si un site a obtenu le label de certification, il pourrait alors prévoir l'application du droit du pays d'origine et donner compétence aux tribunaux de ce pays pour les cas résiduels qui n'auraient pas pu être réglés par le système de règlement des différends compris dans la certification. En revanche, si un site n'a pas été certifié, la loi et les tribunaux du pays de situation du consommateur seraient compétents.
Dans la période intérimaire, avant que le système de certification ne soit disponible et appliqué de manière générale, des règles pourraient être développées pour autoriser les pays à prévoir des dispositions différentes de protection des consommateurs qui résident sur leur territoire. Ce principe pourrait être inséré dans une disposition qui amenderait le présent article 7, paragraphe 3, du projet de Convention sur la compétence et les jugements et pourrait se lire de la manière suivante : «Si l'accord (c'est-à-dire la clause d'élection de for) a été convenu par un consommateur qui réside habituellement dans un Etat qui a déclaré que de tels accords sont valables à l'égard de tels consommateurs».
L'identification des opérateurs sur la toile est essentielle pour un fonctionnement correct du commerce électronique. Ce principe est conforme au projet de directive européenne sur le commerce électronique, aux principes à la base du «Best Business Practice» ainsi qu'aux lignes directrices de la cci sur la publicité faite sur la toile.
Pour ce qui a trait à la compétence juridictionnelle et en matière de délit, il est très difficile de sortir de la dichotomie entre les deux facteurs de rattachement que sont la résidence habituelle du défendeur ou la résidence habituelle de la victime. Aucune conclusion définitive n'a pu être atteinte sur cette question. Certains participants souhaitent exiger que le for de la résidence habituelle de la victime coïncide également avec la localisation d'une part du dommage. Le texte du projet préliminaire de Convention sur la compétence et les jugements (article 10) devra être révisé à la lumière de ces discussions.
En matière de protection des données, la Table ronde a constaté que la collecte des données, y compris des données personnelles, et leur traitement sont inhérents au commerce électronique. La dichotomie entre les systèmes qui n'acceptent aucun cadre général de réglementation et ceux qui exigent un cadre préalable rigide à la collecte et au transfert des données devrait être évitée. De surcroît, il est nécessaire d'entreprendre une étude destinée à trouver le système le plus adéquat pour le droit applicable de manière à permettre un rôle plus grand à l'autoréglementation et aux contrats modèles tels que ceux proposés par la cci et conformément aux principes recommandés par le Conseil de l'Europe.
En matière de sécurité des systèmes (confidentialité, intégrité, authentification, non répudiation et disponibilité), la Table ronde a conclu que le besoin de confidentialité ne doit pas être considéré comme un obstacle à l'utilisation des modes électroniques de transmission. Des techniques sont aujourd'hui disponibles pour protéger la confidentialité. Il a été suggéré que les Etats doivent encourager l'utilisation de telles techniques.
Enfin, la Table ronde a encouragé le développement de systèmes de règlement des différends en ligne et de standards de procédure pertinents pour cette nouvelle méthode de règlement des différends.